Crise Congolaise : Sun city doit mourir

Note: Cet article a été rédigé à la mi-décembre 2016 alors que les négociations de la CENCO étaient en cours et qu'aucun accord n'avait été trouvé. 
Voilà pourquoi vous y trouverez certains faits qui ne cadrent pas avec la réalité d'aujourd'hui. 
Pour plusieurs raisons, des portions de cette analyse ont été publiées ici mais aussi dans un journal de la place. 
Aujourd'hui, je décide de publier l'entièreté de cette analyse et la mettre à la disposition du public. 
Bonne lecture


I. Contexte/Background

Après deux élections, en 2006 et 2011, la RDC se trouve à nouveau engluée dans une crise politique qui remet en question les acquis du consensus politique de 2002 matérialisés par la constitution de 2006. Les origines immédiates de cette crise trouvent leurs causes principales à deux niveaux :
Dans la contestation de l’ordre institutionnel issu des élections de 2011. Organisées précipitamment, après une révision constitutionnelle toute aussi précipitée, les élections de 2011 ne permirent pas d’une part le renouvellement électif de toute l’ossature institutionnelle, et de l’autre créèrent une contestation de l’Institution « Président de la République » dont l’élection fut entachée d’énormes irrégularités. Il en va de même des députés au sein de l’Assemblée nationale.
Conséquence : nous avons des institutions dont la légitimité est remise en question par une large frange de l’opposition.

Dans l’incapacité du pouvoir à organiser les élections dans les délais constitutionnels.
Le cycle électoral issu de la constitution de 2006 n’ayant jamais été complété, il aurait fallu l’achever durant  les scrutins de 2016 afin de réconcilier l’architecture politique et institutionnelle actuelle aux  prescrits de la constitution. La mise en place effective des nouvelles provinces, conformément à la constitution, compliqua davantage le processus. Les difficultés économiques que rencontrent ces nouvelles provinces dénotent de l’impréparation qui a précédé cette mise en place qui finalement s’avéra être plus le résultat d’une stratégie pour retarder le processus électoral que d’une réelle volonté de faire respecter la constitution.


II. Des élections à tout prix

Un consensus semble s’être formé au sein de la classe politique,  ainsi qu’au sein de la communauté internationale autour de la nécessité du respect de la constitution, par l’organisation des élections, comme étant la seule voie de sortie/solution à la crise actuelle.
Il s’agirait donc de veiller à l’application stricte de la constitution, et ce malgré les nombreuses incohérences et autres dysfonctionnements que la révision de 2011 a apportés. Le débat se cristallisant autour du président sortant, accusé de retarder le processus le plus longtemps possible afin de s’éterniser au pouvoir, rendit rédhibitoire tout éventuel débat autour d’une révision, quitte à corriger les incohérences de 2011. La question de la révision constitutionnelle, partielle ou totale,  reste un sujet sensible que la classe politique et l’opinion publique refusent d’aborder courageusement sans passion. Jusqu'à présent toutes les tentatives d’aborder la question furent dénoncées et balayées d’un revers de main par une opposition méfiante, à juste titre, vis-à-vis d’une majorité, soupçonnée de vouloir maintenir l’actuel président au pouvoir au-delà de son dernier mandat constitutionnel.
Comme on peut le constater, le contexte actuel ne semble pas se prêter à un débat sain, dépassionné et libre des pesanteurs d’agendas politiques individuels, de cette question. Ainsi donc toutes les solutions proposées, jusque-là, par les protagonistes, ainsi que par les partenaires extérieurs, tendent à la pérennisation de l’ordre constitutionnel de 2002 : « Allons aux élections ! »
Dans la réalisation de cet objectif,  les acteurs divergent quant au moment de leur organisation  et la séquence des scrutins. Ces divergences ont contribué au blocage du processus électoral.
D’un côté les opposants, accordant la priorité à la présidentielle, estiment qu’il est nécessaire d’accorder la priorité à l’organisation du scrutin présidentiel au détriment des autres, et ce malgré le déséquilibre institutionnel qui en résulterait. Consécutif au cycle électoral incomplet de 2006,  accentué par le scrutin incomplet de 2011, la tenue du scrutin présidentiel seul tendrait à éroder davantage la légalité des institutions dont la légitimité est déjà remise en question. Ce qui aurait pour conséquence de vider la constitution de son sens et poser les bases d’une crise constitutionnelle et institutionnelle qui ferait voler en éclats le consensus politique qui lui a donné naissance.
De l’autre côté  la majorité qui voudrait compléter le cycle électoral dans son ensemble. N’ayant été que partiellement exécuté en 2006 et moins encore en 2011, il serait primordial, pour des raisons évidentes de légitimité institutionnelle et de conformité constitutionnelle, de rééquilibrer le processus en parachevant le cycle électoral de 2006. C’est dans cette optique que se serait inscrite la mise en place effective de la nouvelle territoriale avec la création et l’installation de 24 nouvelles provinces. Légalement cohérent, cet argument bute, néanmoins, sur le filtre de la motivation.
Ici ce sont les intentions de la Majorité qui sont en procès. Ses motivations sont questionnées au regard de divers actes qu’elle a eu à poser au cours des cinq six dernières années qui ne vont, malheureusement pas, dans le sens de renforcer la démocratie prônée dans la constitution de 2006. En effet, les perturbations que connaît le cycle électoral aujourd'hui sont notamment dues aux élections de 2011, organisées à la hussarde sur fond d’une révision constitutionnelle tant controversée que dangereuse orchestrée par la majorité. Révision constitutionnelle controversée quant aux motivations réelles et dangereuses quant aux conséquences qu’elle aurait sur le cycle électoral dans son ensemble. En perspective, la révision de 2010, ramenant la présidentielle de deux à un tour, avait comme objectif premier de fragiliser davantage une opposition éparse en vue de la présidentielle de 2011. Le chaos qui entoura ces élections présidentielles et législatives entraîna une remise en question, inévitable de la crédibilité de leurs résultats. Le président Kabila en ressortit très largement contesté.
Autre fait, la sortie en 2013 du livre « Entre la Révision de la Constitution et l’inanition de la Nation » du professeur Évariste BOSHAB, cadre du parti au pouvoir contribua à renforcer le climat de suspicion générale vis-à-vis du président et de sa réelle volonté à céder le pouvoir au terme de ses deux mandats consécutifs constitutionnels. La sortie de ce livre sonna l’alarme au sein de l’opposition ainsi qu’au sein de la société civile. Il fallait désormais scruter de très près toutes les manœuvres de la majorité qui consisteraient soit à modifier la constitution soit à retarder le processus électoral. En bref, toute action qui serait susceptible d’allonger la présidence de Joseph Kabila au-delà du 19 décembre 2016. Il fallait éviter tout glissement ! D’où la forte réticence de l’opposition et celle de la communauté internationale à accorder la priorité à tout autre scrutin au détriment de la présidentielle. L’enjeu principal étant le départ immédiat de Joseph Kabila du pouvoir.
Aujourd'hui ce sont ces deux approches, qui ont donné naissance aux différents scénarios qui se veulent tous constitutionnels, même s’ils ne le sont que partiellement, qui s’affrontent lors des différents rounds de discussions politiques qui ont lieu dans et en dehors du cadre du dialogue politique.
Dans l’ensemble, la volonté populaire exprime un profond ras-le-bol du pouvoir en place. Un désir de changement qui rime avec des aspirations, avec des lendemains meilleurs. Aujourd’hui, il semble y avoir un certain consensus autour du report des élections au-delà des délais constitutionnels. Ce qui ouvre la porte à une période de transition dont la durée et le contenu divisent la classe politique.

III. Deux dialogues, une transition et des élections.

Le contexte politique actuel a prouvé être hostile à toute idée de discussion autour de la constitution. La crainte de l’opposition politique ainsi que de la société civile est d’ouvrir la boîte de Pandore qui pourrait très vite entraîner les événements dans une direction non désirée. La crainte de l’opposition est telle qu’elle s’oppose à une quelconque éventualité de révision, même celle qui consisterait à revenir sur la révision de 2010 afin de ramener la présidentielle à deux tours. Un retour à une présidentielle à deux tours qui produirait un président avec une légitimité plus large, ce qui  ferait certainement beaucoup de bien à la jeune démocratie congolaise.

1. Les Dialogues : Cité de l’UA et la CENCO

Jusque-là, les solutions proposées par les protagonistes mettent en lumière les limites de l’actuelle constitution fortement malmenée. Certains diraient qu’il serait de mauvais aloi d’évoquer les limites d’une constitution d’à peine dix ans dont l’application effective a souvent été rendue difficile plus par l’absence de volonté politique que par une réelle impossibilité socio structurelle à l’appliquer. Et donc avant de parler de limites, il faudrait que cette constitution eût été soumise dans son application effective à de réels obstacles systémiques pour prouver son inadéquation et/ou incohérence vis-à-vis du système dans lequel il évolue.
D’autres par contre estiment que la situation actuelle présente une réelle opportunité pour aborder la question. Il est vrai que cette approche est défendue par la majorité dont la volonté de maintenir le président actuel pour une durée indéterminée ne fait plus l’ombre d’un doute.
Néanmoins, ceci ne vide en rien la pertinence de cette position et la nécessité d’un bilan. L’opportunité et la qualité des acteurs ne se prêtent certainement pas à ce genre d’exercice sans qu’il ne soit vicié par des calculs politiciens en tous genres. Mais la crise à laquelle nous faisons face nous impose d’en prendre la mesure afin d’y apporter des solutions courageuses et idoines. Et ceci passe par une remise en question de l’ordre constitutionnel actuel.
Jusqu'à présent, les solutions proposées par les différents acteurs ne règlent que la question immédiate de l’organisation des élections. Elles ne règlent pas la question de l’adéquation et de la viabilité de l’écosystème sociologique, politique et économique congolaise à appliquer de façon viable la constitution de 2006.

Le dialogue de la Cite de l’UA

Signé entre la majorité, une partie de l’opposition conduite par Vital KAMERHE et une partie de la société civile, cet accord prévoit une période de transition de 18 mois dirigée par Joseph Kabila avec un Premier ministre issue de l’opposition. Il prévoit aussi la mise en place d’un comité de suivi de l’accord qui sera chargé de veiller à l’exécution du chronogramme établi par les parties jusqu'à l’organisation en avril de 2018 des scrutins présidentiels et législatifs.
De cet accord, nous pouvons constater que l’opposition n’obtient que très peu si pas aucune garantie sur le respect et l’exécution de cet accord. Outre le contrôle du gouvernement (avec une opposition qui finalement devra faire partie d’une « nouvelle majorité » afin que la désignation du Premier ministre issu de son rang ne pose pas de problème constitutionnel) l’opposition n’a rien obtenu de substantiel. Elle n’a su obtenir des garanties d’opérationnalisation du processus électoral (financement et chronogramme) ni le contrôle de la CENI et encore moins un engagement ferme du président de la République à ne pas se représenter pour un troisième mandat. 
La majorité de son côté ne cède que très peu de son contrôle de la situation. Le président conserve l’essentiel de son pouvoir. Elle est parvenue à conditionner l’organisation des élections à une « étude de faisabilité ». Faisabilité qui sera certainement déterminée par la satisfaction des conditions matérielles, financières, mais aussi sécuritaires. Mais en cette période de crise économique que traverse le pays, couplée par les soubresauts sécuritaires que connait l’est du Congo, la probabilité d’un autre report est élevée.
En définitive, cet accord, fragile, ne règle rien sur le fond du problème. D’autant plus qu’il n’a pas été inclusif comme l’auraient souhaité la population ainsi que la communauté internationale. Les violences du 19 et 20 septembre avaient très vite refroidi les prétentions d’ « inclusivité » que les organisateurs dudit dialogue voulaient lui accordaient. Quant à son exécution, outre la nomination de Samy BADIBANGA comme Premier ministre, au grand désarroi de Vital KAMERHE, l’accord n’a pas encore été appliqué.

1. Le dialogue de la CENCO

Après avoir claqué la porte du dialogue de la cite de l’UA, la CENCO a entrepris, sur initiative du Président de la République, de contacter le rassemblement en vue d’élargir la base consensuelle autour de la période transitoire qui commencera dès le 20 décembre à minuit.
Après plusieurs jours de consultations et quelques retournements de situation, elle parvient à lancer les travaux du « deuxième dialogue » entre les signataires de l’accord du 18 octobre et le Rassemblement.
Débuté  le 7 décembre 2016, sous la bénédiction- pression ?- de la communauté internationale, il réunit autour des évêques de la CENCO 30 participants dont 15 de chaque camp. Supposées ne durer que trois jours, les négociations peinent à voir le bout du tunnel,  et la possibilité d’un accord reste encore éloignée. Ayant été brièvement suspendues et sans un mot d’ordre de soulèvement du Rassemblement- sous la pression de la communauté internationale- le pouvoir a pu passer, globalement, en « douce » le cap du 19 décembre et dans la foulée designer les membres du gouvernement issu de l’accord de la cite de l’UA.
Contrairement à l’opposition signataire de l’accord du 18 octobre, Le Rassemblement et le MLC ont des positions plus fermes et tranchées. Ils exigent la refonte de la CENI ainsi que celle de la Cour Constitutionnelle. Mais aussi un engagement ferme de la part de Joseph Kabila a ne pas se représenter pour un troisième mandat ni d’initier une quelconque tentative de modifier la constitution durant la période de transition- 12 a 14 mois- dont ils concèdent la Présidence à Joseph Kabila. Un accord peine toujours à être trouvée entre les deux parties.
Comparées aux conclusions de l’accord du 18 octobre, celles de  l’accord en négociation -si les deux parties y parviennent- pourraient être encore plus « sévères »  que celles  du 18 octobre. L’accord qui en découlerait pourrait, en principe, permettre une fin de crise apaisée avec des élections organisées en fin 2017 et surtout obtenir un départ en douceur de Joseph KABILA du pouvoir.
Sur le papier, bien plus contraignant que l’accord du 18 octobre, l’accord qui pourrait sortir de la CENCO souffrira néanmoins de la même faiblesse que son prédécesseur. L’absence du facteur coercitif garantissant son application. Leur exécution repose essentiellement sur les pressions de la communauté internationale sur le pouvoir et la bonne foi des acteurs, spécialement celle du président KABILA qui reste en fonction et donc au sommet de la hiérarchie politique et sécuritaire du pays. Dans ces conditions l’opposition se prive des capacités réelles à pouvoir contrôler et influer sur le cours de la transition. Le partage de l’exécutif national et provincial ne fragilisent que très faiblement le pouvoir. Au cours des 15 années de son règne, Joseph KABILA a su gouverner  le pays en dehors des circuits officiels du gouvernement. La pratique politique en République Démocratique du Congo veut que celui qui contrôle l’armée et les services de sécurité contrôle le pouvoir. Et au regard de l’architecture sécuritaire et financière de la RDC, Joseph KABILA, comme président, demeure au centre l’échiquier et détient encore les cartes nécessaires pour influencer le cours de la transition. Et même avec son concept de « Président Protocolaire », le Rassemblement n’a pas su y donner un contenu substantiel qui rendrait effectivement protocolaire la position du président de la République.
En ne limitant leurs revendications essentiellement sur des aspects politiques et administratifs, l’opposition congolaise, dans les deux dialogues, s’est privée des moyens de réduire l’influence du Président sur la transition. Elle n’a pas osé aborder la question du rôle, de l’influence et du rapport du chef de l’État avec la garde républicaine, les FARDC,  l’ANR et les autres services de sécurité qui sont sous son contrôle exclusif. Dans un État congolais aux structures étatiques déliquescentes, dirigé par un pouvoir « politico- militaire » vieux de 15 ans, il serait naïf d’envisager une transition politique qui y mette fin sans aborder la question des forces de sécurité. Au-delà de la question du remplacement de Joseph Kabila, c’est la question de la survie du régime qui se pose. Il n’y a que très peu de doute quant au sort de ce régime après le départ de Joseph Kabila de la présidence de la République.
Au regard des forces en présence, les chances pour l’opposition d’obtenir quoi que ce soit sur le plan sécuritaire sont quasi inexistantes.
Aujourd’hui seule la pression internationale constitue le facteur déterminant qui pourrait garantir, dans une certaine mesure, l’application de cet accord. Malheureusement, les positions de la communauté internationale sont évolutives selon le contexte et les enjeux internationaux. Et donc il serait imprudent de croire que les pressions de la communauté internationale seront les mêmes sur le pouvoir en place dans les 9 à 12 mois à venir. Elles peuvent en effet s’accroitre tout comme elles peuvent s’adoucir et s’effriter.
En prenant en compte la faiblesse de l’appareil de l’État et la concentration des leviers essentiels du pouvoir entre les mains d’un seul homme, il est fort probable que l’accord de la CENCO n’atteigne pas ses objectifs. Au pire des cas, elle ne sera qu’une trêve avant la reprise des hostilités.

La troisième République doit mourir

Quand bien même nous parviendrons à organiser les élections dans les mois à venir, nous ne serons toujours pas à l’abri d’une réelle crise. Cette dernière inhérente  primo à la nature et aux ambitions des acteurs, secundo à l’incapacité de l’État à imposer sa force et sa loi sur tous. La fragilité de l’État congolais due à son inexistence en dehors de la personne du Chef de l’État rend l’existence et l’application de toute constitution impersonnelle illusoire sinon impossible. Ainsi la constitution incarnant le pouvoir politique devient un élément d’oppression d’un groupe sur un autre. C’est ainsi que plus tard, vidée de toute légitimité sociale vis-à-vis des oppressés, elle finit par être la cause première d’une remise en question violente du pouvoir établi.
Et c’est dans cette logique de violence et de perpétuel recommencement que s’est inscrit la RDC depuis son indépendance avec la « violence armée » comme voie et méthode de transition entre deux républiques. La première née de l’indépendance et émaillée de violences, verra sa fin avec le coup d’État de 1965 qui donnera naissance à la deuxième république. Née dans un contexte international conflictuel, elle s’inscrivit dans une logique d’alignement idéologique vis-à-vis des intérêts occidentaux qui en contrepartie fermèrent les yeux à ce qui, en interne, devint une dictature brutale. A la fin du conflit international, affranchi du poids de l’alignement, le pouvoir ne saisit pas l’opportunité qu’était la conférence nationale souveraine de poser les bases fondamentales d’un État. Détaché de sa population appauvrie et disparaîtra sous les balles d’une rébellion armée et soutenue par l’étranger en 1997. Le début de la troisième république est sujet à discussion. Pour ceux qui ont renversé le maréchal Mobutu en Mai 1997, sa chute inaugure le début de la troisième République, même si cette période fut caractérisée par un vide constitutionnel patent qui vit la république être régie par le décret-loi du 27 Mai 1997. Décret-loi, muet quant à la vacance du pouvoir en cas d’empêchement du chef de l’État, fut incapable de régler la question de la succession de Laurent Désiré Kabila après son assassinat en janvier 2001. Pour les principaux protagonistes de la guerre de 1998-2002, la troisième république vit naissance avec la promulgation de la constitution de 2006 qui fut adoptée par référendum en 2005. Ce qui de facto, sur un point de vue historique et scientifique fait du début du règne de Laurent Désiré Kabila à la fin de la période de transition de 2003~2006, une période de transition.

La troisième république est née du consensus politique issu des accords de Pretoria qui clôturèrent les négociations de Sun City supposées mettre fin à la guerre d’août 1998.Comme on peut le voir, c’est sur la base de ce consensus politique qu’a été écrite l’actuelle constitution. Elle est donc, pour reprendre les mots d’un cadre du PPRD, un « pacte des belligérants ». C’est du reste, ce consensus politique que tiennent à défendre certains ténors de l’opposition qui craignent que sa violation puisse entraîner une crise de légitimité qui pourrait replonger le pays dans l’instabilité.
La question de la légitimité des institutions et de leurs animateurs fut diagnostiquée, et reprise comme motivation dans les préambules de la constitution, comme étant la cause principale des guerres incessantes et de l’instabilité chronique que connaît la République Démocratique du Congo. Ce fut-là, le principe fondateur des fondamentaux de notre constitution que sont l’organisation des élections, la durée et la limitation du nombre de mandats du président de la République.
Dans la forme la constitution ne semble poser aucun problème, dans le fond elle est affaiblie par le processus vicié de sa rédaction. Tout comme les précédentes constitutions, le processus de sa rédaction a été biaisé par les pesanteurs que constituait le poids des principaux belligérants, internes et externes, de l’époque. Il fallait donc préserver leurs intérêts présents et futurs. C’est ainsi qu’il y eut des débats houleux autour des critères d’âge et de qualification académiques des candidats à la présidentielle. On aurait su établir un âge objectif autour de quarantaine ou encore des critères objectifs de qualification qui aurait eu comme impact direct la disqualification du président en exercice de la transition. Ainsi, il en fut de même pour la question de la création des nouvelles provinces, de la double nationalité, de la forme de l’État, etc. Autant de questions dont les argumentaires et positions furent essentiellement motivés par la qualité et les intérêts individuels et non idéologiques des principaux acteurs. La guerre de 1998-2002 n’étant pas elle-même une guerre civile opposant deux idéologies et approches internes, Congolo-congolaises, fondamentalement différentes de l’État, de sa compréhension, de sa gestion et de son avenir, les intérêts défendus par les belligérants n’auraient pu être de cet ordre. Ainsi donc, nous avions élaboré une constitution qui était non l’expression d’un compromis idéologique interne, mais plutôt celui d’intérêts personnels et extérieurs.

De ce fait, tout comme lors de la période de transition qui l’a précédée, le message compris était tel que seule l’existence de ces belligérants armés constituait la garantie du strict respect de cette constitution. L’État, déliquescent et en« reconstruction », inexistante dans sa forme impersonnelle, n’aurait pu ni être ce gage ni s’imposer sur un seul ou plusieurs acteurs pour la respecter.
Et c’est la situation dans laquelle nous nous retrouvons aujourd'hui. La victoire de l’actuel président aux élections de 2006 face à Jean Pierre Bemba aurait dû permettre la normalisation de la vie politique. Malheureusement l’existence de la milice armée du MLC et sa présence dans la capitale remettait en question l’autorité de « L’État ». Au-delà de l’État, Jean-Pierre Bemba et sa milice constituaient d’abord une menace pour le pouvoir de Joseph Kabila. Sa neutralisation définitive et permanente devenait l’objectif principal. Ce qui fut fait en mars 2008. La débâcle électorale du RCD en 2006 permit l’affermissement du nouveau pouvoir. Il raffermit son pouvoir et son contrôle sur l’appareil sécuritaire et financier de l’État tout en veillant de ne pas poser les fondements solides d’un État impersonnel. Son pouvoir et son autorité se sont renforcés au détriment de l’État. Il est devenu « l’hégémon absolu »au point de devenir la force indispensable et nécessaire sans laquelle rien ne saurait être fait. Quant aux belligérants extérieurs, les multiples rébellions et groupes armés dans l’est du pays depuis 2006 en sont les séquelles pour lesquels des « solutions » pratiques furent trouvées et sont d’application.

En définitive l’équilibre conflictuel interne ayant pris fin, Joseph Kabila étant le seul et unique vainqueur, il devient ainsi obsolète. Joseph Kabila ne se retrouve  plus donc ainsi dans l’obligation de respecter et de se soumettre aux prescrits d’un ordre-consensus désormais obsolète.
C’est pourquoi réclamer la préservation de ce « consensus-ordre »est un non-sens politique. On ne saurait donc ainsi espérer l’avènement d’un pouvoir, système nouveau tout en préservant les acquis de l’ordre ancien. Certes, tous les acquis ne sont pas à bannir, mais ils doivent être revus et refondus sous un prisme nouveau et sain, libéré de toutes les pesanteurs qui ont eu à biaiser le processus de conception et de naissance des précédentes républiques. Il faut donc tuer la 3èmeRépublique !!!

Vers une 4e République .

C’est en cela que cette crise représente une opportunité. Dans la volonté des acteurs politiques, principalement ceux de l’opposition, à vouloir « renverser » le pouvoir actuel, ils se doivent de soulever la question et démontrer ainsi la nécessité qu’il y a, non seulement de réviser la constitution, mais aussi de la bannir dans son ensemble afin d’en réécrire une autre. Ils devraient en appeler à la venue de la 4e République. Une république qui devra, pour sa viabilité, être vidée des principaux acteurs internes des deux précédentes républiques.
Pour ce faire une transition est nécessaire. Les causes de sa venue et sa nature, violente ou pacifique, dépendront essentiellement de la volonté ou pas de Joseph KABILA de se retirer définitivement du pouvoir et du jeu politiques. Il ne saurait y avoir de solution politique viable avec Joseph Kabila comme président, car il demeure l’obstacle majeur. L’objectif principal de la transition sera de poser les bases viables d’une 4e république en évitant soigneusement de tomber dans les travers des processus précédents.

 1+4 : Un virage mal négocié

Cette transition s’articulera autour de deux paradigmes : « State Building » et « Nation Building ». Elle viendra ainsi corriger les échecs d’une transition qui s’est essentiellement focalisée sur un « Peace Building ».  La Communauté internationale dans sa gestion de la transition congolaise aurait dû combiner « Peace and State Building  ». En lieu et place de se limiter dans un processus de pacification qui avait fait le diagnostic incomplet de résumer les causes de l’instabilité récurrente en RDC dans l’absence de légitimité des autorités politiques. Ces deux approches combinées auraient eu le mérite d’adresser la question de la paix immédiate et de sa viabilité sur le long terme. Cette transition post conflit était une fenêtre d’opportunités pour mener à bien un processus de (re)construction effective de l’État congolais. Mais elle présentait aussi le risque, mal géré,  de replonger dans le pays dans une crise dans le court ou moyen terme. Ce qui fut fait.
La communauté internationale porte ainsi une lourde responsabilité dans cet échec, car elle n’a pas pesé de tout son poids sur les acteurs afin que ceux-ci participent à un réel processus de reconstruction de l’État. Il aurait s’agit pour cette transition de poser les fondamentaux d’un État viable et stable. Au contraire, elle a assuré un service minimum en veillant à ce que les premières élections libres et transparentes soient organisées rapidement.
Elle ne s’est réellement pas engagée dans un processus de « State Building ». Un processus qui serait passé par la formation d’une armée apolitique et républicaine, d’un système judiciaire indépendant et fonctionnel et d’une administration apolitique et forte. Processus qui, au regard de la taille du pays et de l’ampleur du désastre,  aurait été long, difficile, fastidieux et couteux. Ce qui aurait impliqué une transition un plus longue, cinq ans au minimum. Ce dont personne ne voulait.
La République Démocratique du Congo coûtait chère à  la communauté internationale, et il fallait donc trouver une solution rapide et moins coûteuse qui apporterait un semblant de stabilité. Elle avait fait le pari de croire qu’un régime démocratiquement élu résoudrait le problème de l’instabilité. Mais elle n’a malheureusement pas suffisamment pris en compte les conditions structurelles dans lesquelles ce nouveau pouvoir évoluerait.
On peut constater que la priorité accordée au « Peace Building Process » reléguait le « State Building  Process » au « Peace Building Process » reléguait le « State Building  Process » au second plan, le transformant en processus qui s’étalerait sur le moyen et long terme.
Un processus qui aurait été accompli par les différents mécanismes de coopération et d’accompagnement internationaux à travers divers programmes d’appui et de renforcement aux institutions. Mais aussi au travers du maintien des forces des Nations Unies afin de « suppléer » ou « accompagner » une armée congolaise aussi indisciplinée que défaillante, incapable de jouer son rôle. Malheureusement ce processus d’accompagnement n’a pas su produire les résultats  escomptés, car la faiblesse de l’Etat et de ses institutions phagocytées par le pouvoir en place ne permettait par le développement d’un système étatique évoluant en toute indépendance vis-à-vis du pouvoir.
La priorité accordée au « Peace Building » peut s’expliquer pour deux raisons.

La guerre congolaise et son processus de stabilisation coûtaient  cher à la communauté internationale et constituaient une menace grandissante pour la stabilité de toute la région.

Dans une stratégie mondiale consistant à ouvrir de nouveaux marchés aux investissements occidentaux à travers le plan de réduction de la dette extérieure des pays pauvres les plus endettes, il fallait créer un minimum de paix et de stabilité dans ce pays afin qu’il soit à même d’achever le processus de réduction afin de se rendre à nouveau accessible aux capitaux frais étrangers.


Et donc il fallait parer au plus urgent: La paix ! La paix comprise dans son acception la plus réductrice : l’absence de guerre.
Ainsi donc, par cette transition inachevée, la Communauté internationale et les protagonistes congolais avaient posé les bases de la crise actuelle.

Une transition vers la 4e République

La 3e République est arrivée à bout de course. Chercher à la sauver en préservant cette constitution ne serait qu’une mesure palliative qui repousserait à 5 ou 10 ans la prochaine crise. Il faut définitivement tourner cette page ainsi que celle des acteurs qui l’ont animée et qui aujourd’hui constituent une pesanteur à l’émergence d’une 4e République libérée de ces démons du passé.
Un dialogue politique national devra réunir les différents acteurs de la scène politique congolaise et décider l’installation d’une période de transition.

Durant ce dialogue il devra être décidé la mise à l’ écart définitif de certains acteurs politiques de la 2e et 3e république dont la présence risquerait de focaliser la discussion autour de leur personne et non des intérêts de l’État. C’est cette tendance qui a souvent prédominé dans les discussions politiques. Les débats qui ont émaillé les discussions lors de la rédaction de l’actuelle constitution l’ont souvent été sur fond des intérêts des principaux protagonistes armés de l’époque. Aujourd’hui si nous voulons éviter les mêmes erreurs, il faut donc éviter de prendre le même chemin.

C’est dans ce cadre que s’inscrit la nécessité d’exclure définitivement de la vie politique, l’actuel chef de l’État. Ceci est un prérequis indispensable et non négociable à toute discussion saine en vue d’une 4e République. Son poids et son influence constitueront une pesanteur dans les discussions. Et au regard de la personnalisation de son pouvoir, sa mise à l’ écart définitive ne pourrait qu’apporter une bouffée d’air frais. Cette bouffée d’air frais sera aussi apportée par la mise à l’écart d’autres personnalités emblématiques des précédents régimes que sont entre autres et non limités à Léon KENGO WA DONDO, Etienne TSHISEKEDI, Antoine GIZENGA, etc.… Si la 4e république veut naitre sur de nouvelles bases, la classe politique devra procéder à un nettoyage des écuries d’Augias.
De la troisième république, il faudra se débarrasser de tout ce qui a constitué son architecture. Que ce soit politiquement que sécuritairement.

La transition de 5 ans ainsi mise en place sera axée sur un double processus, celui de reconstruction de l’Etat « State Building » et celui de la construction de la Nation «  Nation Building ». Ainsi toutes les missions assignées à cette transition tourneront essentiellement autour de ces deux objectifs. C’est la raison pour laquelle un accent particulier devra être mis sur la réforme des services de sécurité, du renforcement de l’appareil judiciaire et la mise en place d’une administration publique professionnel et apolitique. Sans une armée républicaine, professionnelle et apolitique, la souveraineté de l’État sera constamment mise à mal par l’extérieur et son autorité affaiblie à l’intérieur. C’est pour ça que la neutralisation de tous les groupes armés sera un des objectifs primordiaux au niveau sécuritaire. La 4e république ne saurait naitre avec les fantômes de la 3e république.

Au niveau social et collectif, un travail de réconciliation devra être mené afin de réconcilier le Congolais avec lui-même et son pays. Il faudra parvenir à poser les bases solides du vivre ensemble et collectif autour d’un destin et d’une vision commune. Le vivre ensemble nous avait été imposé par le fait du colonisateur, il faudra désormais nous l’approprier. Si l’EIC, le Congo Belge furent une invention et la vision d’un roi et du colonisateur, il faudra que la République Démocratique du Congo devienne le fait de la volonté congolaise dans toute sa diversité.

Ainsi donc, la transition aura pour missions principales de :

1. Procéder à  la dissolution des institutions actuelles et la mise en place d’institutions temporaires transitoires.
2. Procéder à la réforme des services de sécurité :
- Dissolution de la garde républicaine dans le cadre de la  réforme et refonte des forces de sécurité. Réforme au cours de laquelle une mise à la retraite anticipée, une exclusion définitive, avec possibilité de cour martiale, devront être appliquées à l’égard de certains officiers, de la police et de l’armée, dont les actions ont porté atteinte à l’intérêt supérieur de la République. La MONUSCO pourra accompagner le processus de dissolution de la Garde républicaine.
- Refonte de l’ANR.

3. Mise en place d’une assemblée constituante. Une assemblée composée d’un éventail assez large de la société congolaise.
La rédaction et la vulgarisation de la constitution à travers la République devront prendre au maximum 24 mois, dont 6 à 12 mois au moins consacrés à sa vulgarisation. Il s’agit ici d’élaborer une constitution qui puisse être le reflet d’un compromis social collectif et national qui aille au-delà des intérêts individuels des acteurs.

4. Mise en place d’une commission paix et réconciliation : Elle aura comme mission principale de procéder à une campagne de réconciliation interne. Au regard de plusieurs années de guerre et de la résurgence de plusieurs conflits intercommunautaires et interethniques sur fond d’absence d’autorité de l’État, il se présente le besoin de renforcer la cohésion et l’appartenance nationale. La mission principale de cette commission s’inscrira dans une logique  de « Nation Building ».

5. Procéder à la mise en place d’un exécutif transitoire dirigé soit collégialement au sein d’un triumvirat soit à la manière du 1+4.Cette fois-ci le « 1 » étant une personnalité neutre de la société civile.

Ce gouvernement aura pour mission principale de poser les bases élémentaires de l'infrastructure de l'État en vue de la rendre capable de contenir la structure politique et étatique qui découlera de la constitution nouvellement écrite.
Note: la RDC n'est pas un État et continuer à la considérer ainsi en voulant lui appliquer ce qui se ferait dans un état normal et fonctionnel serait faire preuve de cécité
Pour une transition de 5 ans,  les 3 dernières années seront consacrées à la mise en place des structures étatiques qui serviront à supporter et contenir le modèle politique et étatique qui aura été décliné dans la constitution.

6. Mise en place d’un tribunal spécial des crimes économiques qui aura pour mission principale de mener un audit de la gouvernance économique des 10 dernières années.

Conclusion

L’ objectif de cette transition est de faire ce qui aurait dû l’être depuis 1960, lorsque les belges laissèrent entre les mains d’autochtones non préparés, un État qu' ils voulaient être « Etat-Nation » sans avoir eu à apprendre à toutes ces diverses tribus à vivre ensemble comme une seule nation, un seul peuple.
Il s’agira pour les congolais d’avoir un réel dialogue, libéré des pesanteurs externes d’un système international moins contraignant et internes d’acteurs politiques encombrants. Ce dialogue abordera finalement les aspirations des uns et des autres qui feront certainement l'objet d'un compromis qui sera couché dans la constitution et qui sera désormais un pacte national commun.  D'où la nécessité d'avoir une constituante diverse et large dans sa composition. Celle-ci ne peut se libérer des pesanteurs de la personnalisation si et seulement si plusieurs acteurs majeurs d’hier et d’aujourd’hui sont définitivement mis hors courses.
La troisième République n’aurait pu connaitre une autre fin. Sa fin était destinée à être violente et brutale. Sa conception et son développement l’ayant été, sa fin n’aurait su être autrement. Elle n’est simplement pas le fait de la volonté de Joseph KABILA, même si cette dernière joue un rôle prépondérant dans le déroulement des événements, elle est aussi due à la dynamique interne- Failed State- en situation post-conflit qui prévalait. Les chances de voir un règne de Jean Pierre BEMBA être différent de celui de Joseph KABILA sont minces. S’il avait eu à remporter les élections de 2006, sa priorité aurait certainement été sa sécurité personnelle et celle de son régime. Et cette sécurité serait passée par la transformation de la branche armée de son mouvement, sur fond de méfiance vis-à-vis d’une armée brassée et hétéroclite, en une unité d’élite semblable à la garde républicaine aujourd’hui et évoluant en dehors de la hiérarchie de l’armée régulière. Toute chose restant égale par ailleurs, la dynamique politique interne congolaise aurait certainement généré, à quelques différences près, les mêmes dérives de gestion, personnalisation de l’administration et l’inféodation de la justice au pouvoir exécutif, qui auraient rendu une alternance pacifique au pouvoir illusoire.
La République Démocratique du Congo se trouve à un autre tournant de son histoire qui lui donne l’opportunité de réajuster sa course en tant que Nation. Il faudra pour cela que des décisions fortes et courageuses soient prises afin de saisir l’opportunité qu’offre cette crise.

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