Révision des contrats miniers en RDC, que pourrait nous réserver l'avenir?


Depuis le mois dernier, l'environnement minier de la RDC est en ébullition avec la commission de révision mise en place par le cabinet de Felix Tshisekedi pour revoir le contrat de Tenke Fungurume Mining (TFM). Annoncée en mai 2021 lors de sa visite dans la province du Katanga, je n'ai pas cru que cette révision se ferait en raison de l'incertitude qu'un processus aussi complexe pourrait engendrer. 

Avec le comité de révision en place, il est temps de repenser la situation et de voir ce qui peut sortir de ce processus. 

 

Disons-le d'emblée : en l'état actuel des choses, il est presque impossible de savoir avec certitude comment la situation va évoluer. La complexité de l'environnement politique interne congolais (qui façonne les motivations et les actions des acteurs politiques) et l'implication des acteurs internationaux (gouvernements et lobbies) ne nous permettent pas de faire des prédictions solides.  

 

Au lieu de considérer cet article comme une boule de cristal prédisant l’avenir, considérons-le plutôt comme un exercice de réflexion prospective sur ce qui pourrait arriver. 

 

I.              Que savons-nous ? 

 

-       En mai 2021, Tshisekedi avait annoncé sa volonté de revoir les contrats miniers qui, selon lui, ne profitaient pas à la RDC. Bien que l'annonce n'ait désigné personne en particulier, les Chinois, qui contrôlent une grande partie du secteur du cuivre-cobalt congolais, étaient perçus comme la principale cible. 

 

-       En juin 2021, Afrewatch a publié un rapport sur l'accord Sicomines de 2008 - "des mines contre des infrastructures", qui pointait du doigt le manquement de Sicomines à ses obligations contractuelles envers le gouvernement congolais. 

 

-       Lors de l'annonce du processus de révision en mai, l'ambassadeur chinois en RDC a fait un tweet mettant en garde contre la tentative de faire de la RDC et de l'Afrique le champ de bataille des grandes puissances.

 

-       En août 2021, le cabinet de Tshisekedi décide de mettre en place un comité de révision du projet TFM que China Molybdenum a acquis en 2015 auprès de l'américain Freeport McMoran. Le choix de TFM est quelque peu surprenant, d'autant plus que TFM semble avoir un contrat solide, revu en 2010 par Freeport et le gouvernement congolais, et qu'il n'a pas fait l'objet de critiques particulières de la part de la société civile congolaise. 

 

-       En septembre 2021, Nicolas Kazadi, ministre congolais des Finances, a déclaré à Reuters que le gouvernement congolais examinait également le contrat de6 milliards de dollars (Sicomines). Jusqu'à présent, contrairement au projet TFM, il n'y a pas encore de comité officiel mis en place.

 

-       Fin août 2021, China Moly a annoncé qu'elle allait réinvestir 2,5 milliards de dollars dans son projet TFM afin d'augmenter sa production sur un marché mondial en pleine croissance. Les prix du cobalt, poussés par la forte demande des batteries des véhicules électriques, devraient atteindre de nouveaux sommets

 

-       Le projet minier Mutanda de GLENCORE, premier producteur mondial de cobalt, devrait reprendre ses activités au dernier trimestre de 2021.

 

 

II.            Ce que nous ne savons pas

 

  1. Que veut vraiment le gouvernement congolais ? 

 

Qu'il s'agisse du projet TFM ou de Sicomines, les véritables objectifs du gouvernement congolais restent flous. Le communiqué annonçant la mise en place de la commission d'examen n'apporte aucun éclairage à ce sujet. Sur la base des termes de ce communiqué et de la situation générale - politique interne et marché mondial - nous pouvons envisager les options suivantes : 

 

  1. Le respect strict des termes contractuels 

 

Lors de la révision de l'accord TFM en 2010, parmi les amendements sur lesquels les deux parties s'étaient mis d'accord, Freeport avait accepté d'augmenter la redevance du gouvernement de "1,2 million de dollars pour chaque tranche de 100 000 tonnes métriques de réserves de cuivre prouvées et probables supérieures à 2,5 millions de tonnes". Ainsi, en prévoyant d'augmenter sa production en injectant 2,5 milliards de dollars, China Moly manifeste là certainement sa confiance dans son projet TFM. Et pour cause, conformément à leur accord et comme stipulé dans les termes du communiqué créant le comité de révision, la présidence congolaise s'attend à une augmentation des redevances sur la base des nouvelles réserves prouvées et probables de TFM. 

 

  1. Nouveau contrat  

 

Le, ce qui est appelé en anglais, "Obsolescing bargain" est l'un des grands défis dans l'industrie des ressources naturelles. À la suite des changements sur le marché international - prix élevés des matières premières - et de l'augmentation des investissements des sociétés minières, les pays producteurs ont tendance à revoir leurs contrats initiaux avec les sociétés minières afin d'augmenter leurs parts et de capter davantage de revenus. Ayant investi des milliards, les entreprises ont des options limitées, elles peuvent négocier ou aller en justice. 

Et cela est encore plus pertinent pour la RDC et l'industrie du cobalt. Le pays abrite 70 % des réserves mondiales de cobalt, sans véritable rival. Avec la reprise durable du marché du cobalt, stimulée par la demande croissante de l'industrie automobile, les autorités de la RDC sont davantage incitées à revoir leurs différents accords. Contrôlant la chaîne d'approvisionnement mondiale en cobalt en contrôlant environ 50% de la production congolaise ( Mutanda Mining de GLENCORE en pause), la Chine aura-t-elle assez d’éléments pour rejeter les demandes congolaises ? – Difficile à dire. Comparé à celui de TFM, l'accord de Sicomines est celui pour lequel Tshisekedi devrait certainement désirer de grands changements. En effet, négocié et signé dans des conditions opaques par le régime de Kabila, il fait l'objet d'un examen et de critiques de la part de la société civile congolaise et internationale depuis plusieurs années. Récemment, nous avons appris l'existence d'un quatrième avenant au contrat et qui n'a jamais été rendu public.

 

  1. Chinois, dehors !

 

Ce serait l'option extrême pour les deux parties, car elle aurait des conséquences immédiates et à long terme sur tout le secteur. Cette option s'inscrirait dans la suite de l'opposition entre les États-Unis et la Chine. Les États-Unis ont été accusés d'être à l'origine de ce processus de révision. Bien que la rhétorique "USA vs la Chine" semble être la principale explication de ce qui se passe, je ne crois pas qu'il y ait une réelle volonté politique et une détermination de Tshisekedi à se débarrasser des Chinois. La démarche sera coûteuse, risquée, sans réel gain à court et moyen terme pour son régime. Deux ans avant les élections, s'engager dans une bataille judiciaire avec les Chinois serait coûteux. Même si les Chinois ne sont peut-être pas les partenaires idéaux en matière de bonne gouvernance et de bonnes pratiques (qui l'est d'ailleurs ?), n’en demeure moins qu’ils restent ceux qui ont les capacités financières et le levier politique nécessaire pour faire des affaires dans un environnement aussi sombre, instable et corrompu tel que la R.D.Congo. 

 

  1. Jusqu'où Tshisekedi est-il prêt à aller ? 

 

Jusqu'où le gouvernement congolais est-il prêt à aller et quels sont les leviers dont il dispose pour prévaloir dans ces négociations ? Le reportage d’Alain Foka  à la suite de la visite de la délégation de la FEC sur les sites miniers de l'Est de la RDC (sites chinois, américains et autres) a provoqué un tollé général sur les réseaux sociaux congolais ainsi qu'au sein de la société civile, qui appellent désormais à l'action. Bien que ces petites entreprises chinoises travaillant dans l'Est de la RDC n'aient certainement rien à voir avec les investissements chinois au Katanga, des raccourcis sont pris et le lien entre les deux est rapidement fait. Et ceci arrive à une période où plusieurs vidéos montrant des chinois abusant d'employés locaux ont fait surface sur la toile. Tout cela fait de la présence chinoise dans le secteur minier en RDC un débat public ; une situation embarrassante pour Beijing qui préfère généralement la discrétion lorsqu'il s'agit de ses affaires en Afrique.  

Le gouvernement pourrait utiliser à son avantage cette contestation publique croissante, voire menacer de l'amplifier, pour faire davantage pression sur les Chinois.

Cependant, cette stratégie peut être une arme à double tranchant qui peut rapidement se retourner contre Tshisekedi. Après tout le battage médiatique, faire marche arrière pourrait lui être aussi préjudiciable politiquement que de n'obtenir aucun changement substantiel dans ces contrats. Mais jusqu'à présent, le processus est géré directement par le bureau de Tshisekedi, maintenant une relative opacité quant aux détails et au résultat de ce processus de révision. 

 

III.          A quoi pourrions-nous attendre ? 

 

  1. Concéder ou résister

 

Compte tenu de l'environnement mondial, il est possible que les Chinois cèdent sur certains points, sans opposer trop de résistance, s'ils estiment, évidemment, que les revendications congolaises sont fondées et "raisonnables". Maintenir et sécuriser sa présence dans le cobalt congolais est un intérêt stratégique majeur pour Pékin. Mais si la main de Washington derrière tout ce processus est prouvée, il est tout à fait possible que les revendications congolaises soient bien plus importantes que ce que Pékin pourrait être prêt à accepter. Dans ce cas, que pourrait-il se passer ensuite ? 

 

Avant d'aller plus loin, gardons à l'esprit la complexité de l'arène politique congolaise. Comme mentionné ci-dessus, des élections sont prévues en 2023. D'ici là, le régime et le parti de TSHISKEDI auront besoin d'argent. Bien qu'il se soit rapproché de Washington, il est également conscient que l'administration américaine ne sera pas aussi généreuse que les miniers chinois le moment venu. Donc, montrer la carte américaine est une chose, mais aller jusqu'au bout, c'est une autre histoire. Les politiciens congolais sont plus connus pour leur capacité d'adaptation que pour leur loyauté à une cause. Ainsi, Tshisekedi pourrait facilement jouer une partie de poker avec la Chine et les États-Unis, en les montant l'un contre l'autre. Cependant, je ne pense pas que dans ce cas précis, nous ayons affaire à l'administration américaine en tant que telle, mais plutôt à une tierce partie (lobby ?) qui aurait beaucoup à gagner si les choses allaient dans une certaine direction ; disons par exemple que les Chinois arrêtent leurs opérations en raison de problèmes juridiques ou qu'ils arrivent à une impasse avec le gouvernement congolais.

 

Pour reprendre les termes d'Eric Olander, l'ensemble de ce processus pourrait s'avérer être une "extorsion de grande envergure" orchestrée par Tshisekedi pour forcer les Chinois à payer.

 

 

2.     GLENCORE dans l'ombre ? 

 

Toutefois, si Tshisekedi décide d'aller jusqu'au bout et d'adopter une position plus agressive à l'égard des Chinois, les deux parties pourraient se retrouver devant les tribunaux et s'attendre à une longue et coûteuse bataille juridique qu'aucune des parties n'est assurée de gagner. Une telle situation pourrait potentiellement nuire au marché international et l'envoyer dans une instabilité pour une courte période de temps. Si ces procédures judiciaires ont un effet suspensif sur les opérations chinoises (en fonction des contrats ciblés) sur le terrain, en combinant la hausse de la demande et la pénurie qui s'ensuivrait, le prix du cobalt devrait atteindre de nouveaux sommets. 

Dans ce contexte, le projet Mutanda de GLENCORE (le plus grand producteur de cobalt), dont la reprise de l'exploitation est prévue pour la fin 2021, serait indéniablement le plus grand gagnant de toute cette situation... si Tshisekedi ne s'en prend pas à eux aussi. 

 

Comme indiqué dès le début, la situation est trop complexe pour savoir exactement comment les choses vont se dérouler dans les semaines et les mois à venir. Attendons de voir. 

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