Seuil d’éligibilité, nouvelle stratégie du pouvoir?
I.
Contexte
General
Le gouvernement a
transmis une proposition de loi portant révision de la loi électorale de 2015.
Des « innovations » ont été apportées en vue de résoudre essentiellement
les questions liées au coût des élections et à la « moralisation » la vie
politique.
Le seuil
d’éligibilité, innovation phare, sera l’objet de la présente analyse.
L’introduction du
seuil d’éligibilité est supposée résoudre les failles de la représentation
proportionnelle ci après :
- - Multiplication des partis politiques occasionnant une multiplication des candidatures « fantaisistes »
- - Emiettement des voix consécutif à la prolifération des dites candidatures
- - Coût élevé des élections
Ce seuil
permettra :
- - Un regroupement en coalition politique qui permettra
- - Une réduction des candidatures qui entrainera
- - Une réduction des coûts des élections
Entre autres
solutions évoquées par les députés de la majorité lors du débat général de la
loi à l’Assemblée, il y aurait une
- - Formation plus rapide du gouvernement et
- - Plus grande stabilité politique
Qu’en est-il du
Seuil ?
L’exposé des motifs
de la proposition de loi présentée par le gouvernement le définit comme suit : « Le
seuil consiste en un pourcentage de suffrage valablement exprimé déterminé par
une norme juridique que chaque liste ou candidat doit atteindre pour être admis
à l’attribution des sièges. » Il est attribué pour chaque élection, à
l’exception de la présidentielle.
Pour les législatives
nationales, il est placé à 3%. Ce qui serait l’équivalent de 1.080.000 de voix
sur base de 80% de votant sur les 45 millions d’enrôlés prévus.
En d’autres termes,
il faudrait qu’un parti, une coalition politique ou un indépendant atteignent
1.080.000 voix pour être admis à l’attribution des sièges. Attribution qui se
fera sur la base d’un « scrutin
proportionnel de listes ouvertes à une seule voix préférentielle avec le
principe du plus fort reste »
En résumé, pour qu’un
parti ou un candidat indépendant soit « admis » à la répartition des
sièges au sein de l’Assemblée Nationale, il doit, sur toute la République,
avoir recueilli l’équivalent de 1.080.000 voix. En deçà, il n’est pas
« qualifié» ; il ne le sera que sous certaines conditions
particulières reprises dans les deuxième et troisième paragraphes de l’article
118.
II.
Problèmes
Nous analyserons les
causes des problèmes que cette innovation prétend résoudre, la pertinence des
solutions qu’elle apporterait et enfin ses diverses conséquences afin de
déterminer la pertinence ou pas de cette mesure.
1. De la multiplication des partis
politiques et émiettement des voix.
Il a été établi par
la majorité et par la CENI, à tort ou à raison c’est selon, que la
multiplication des partis politiques est l’une des conséquences pernicieuses de
la proportionnelle ouverte.
Il peut être en effet
établi que le scrutin proportionnel permette la floraison des partis
politiques. Mais en faire la raison principale de ce phénomène, serait très réducteur
au regard de l’environnement sociopolitique congolais.
Plusieurs autres
raisons, plus déterminantes sont à la base de ce phénomène. Des raisons qui
touchent essentiellement à la gestion des partis politiques ensuite aux
défaillances de l’Etat
a.
Stratégie
politique
Plusieurs partis
politiques, dits « partis valises », ont été créés par d’autres
grands partis politiques pour des fins de « stratégie politique »,
pour emprunter les mots d’Aubin Minaku. Du reste la majorité au pouvoir a
excellé dans cette pratique depuis 2006 jusqu'à aujourd’hui. Le phénomène a
pris un autre tournant dès 2011, au passage de la présidentielle à un tour, le
PPRD déterminé à réduire l’influence de ces alliés, a décidé d’encourager ces
cadres à créer ces partis afin de
conforter leurs positions au sein de la nouvelle assemblée. Mais il s’agissait
aussi pour plusieurs de s’affranchir de l’image négative que le PPRD avait
acquis à l’issue de cette première législature.
b.
Existence politique
En vue d’exister politiquement au sein d’une
coalition politiques, plusieurs hommes politiques ont crée des partis, se sont
fait élire, afin d’avoir des éléments de négociations dans le « partage du
gâteau » une fois au pouvoir.
c.
l’absence d’idéologie
politique
L’absence d’idéologie
politique a fait de l’appartenance tribale et de la puissance financière les
principaux ressorts de la force d’un homme politique et/ou d’un parti
politique. L’identification à une mouvance politique se fait d’abord sur des
bases personnelles, identitaires que toute autre. La question idéologique vient en dernier
ressort ou ne se pose simplement pas.
Donc un citoyen bénéficiant
d’une certaine popularité auprès de sa base sociologique et ayant pour ambition
de postuler à la législature nationale ou même provinciale, crée un parti.
Point n’est besoin de
rejoindre un autre parti qui, du reste, existe et fonctionne aussi sur les mêmes
bases.
d.
Scissions internes
La mauvaise gestion
des ambitions au sein des partis, par les « patrons » des partis,
contribue à la création de nouveaux partis par les cadres qui se sentent lésés.
Des chefs de parti tout puissant dominent et contrôlent toutes les structures du
parti. Ils récompensent et punissent qui ils veulent. Cette gestion autocratique
et souvent opaque fait le lit des frustrations qui conduisent le plus souvent
au départ de plusieurs cadres qui finissent par créer leur propre parti afin
d’exister.
L’absence des
mécanismes structurels politiques, limitation d’âge à la vie politique, ne
permet pas une régulation systémique efficace interne des partis politiques qui
finalement ne voient jamais leur leadership se renouveler. Il n’y a pas
d’ex-président de parti en RDC.
e.
La non-application de
la loi
La loi sur les partis
politiques spécifie les conditions sous lesquelles un parti doit être créé, peut
fonctionner et continuer à exister. Et
donc comment se fait-il que des partis qui n’ont ni siège, ni drapeau, ni
activités et qui ne font pas rapport de leurs activités continuent d’exister
jusqu’à aujourd’hui ?
Une application
stricte de la loi permettrait de réduire sensiblement la création et
l’existence de ces partis dits « valises »
C’est l’ensemble de
tous ces facteurs et certainement d’autres aussi qui, mis ensemble, contribuent
à la prolifération des partis politiques.
Par ailleurs, introduire
la notion de seuil n’empêchera pas la création de nouveaux partis politiques.
Bien au contraire elle encouragera le phénomène car, plus une coalition sera
large, plus seront ses chances d’atteindre le seuil requis.
En ce qui concerne
les candidatures, il serait difficile de les qualifier de fantaisistes dès lors
qu’elles remplissent les critères établis par la loi électorale. Il est vrai
que cette multiplication de candidatures, couplée avec les facteurs mentionnés
plus haut contribue à l’émiettement des voix, mais à une portion réduite et
surtout n’entame pas la légitimité des députés élus.
Mais le fait est que les
« petits partis » avec leur faible nombre de députés posent un
problème aux grands partis durant les négociations. Problèmes dont voudrait se
débarrasser le PPRD.
Par ailleurs en ce
qui concerne les candidats et autres partis qui posent leur candidature sans
réellement avoir l’intention d’y participer, il est possible de renforcer les
critères de participation aux élections.
Ces mesures peuvent
être :
- D’ordre
financier : le parti ou le candidat doivent prouver leur capacité
financière à battre effectivement campagne.
Et à ce niveau, outre
la loi sur le fonctionnement des partis politiques, la loi sur le financement
des partis politiques peut être mis à contribution. Ces deux lois permettent un
encadrement effectif des partis politiques et leur fonctionnement.
- D’ordre
politique : Au regard des facteurs sociologiques du pays et de la taille
du pays, et de la forte décentralisation et de ses conséquences légales et
politiques, il serait intéressant
d’envisager une catégorisation des partis politiques : Des partis
nationaux et des partis régionaux.
La catégorisation se
ferait en amont sur base de critères objectifs clairement établis. Cette
catégorisation pourrait réellement créer une dynamique et engagement politique
à la base. Elle rendrait la décentralisation plus effective et dynamique
qu’elle ne l’est aujourd’hui.
Ainsi à la veille de
chaque scrutin, la liste des partis sera mise à jour pour déterminer ceux qui
peuvent participer aux élections législatives nationales ou pas.
Autant de solutions,
de nature à dynamiser la vie politique et la participation citoyenne, peuvent
être mises en application et régler cet aspect de la question
2. Coût des élections
Il serait intéressant
de savoir combien la CENI compte économiser concrètement avec cette innovation.
Des chiffres doivent être avancés afin d’en évaluer la pertinence sur ce point
bien précis.
Par ailleurs la
question du coût des élections est d’abord la conséquence d’une mauvaise
gouvernance. Une gouvernance qui n’a pas su d’une part combattre les pratiques
qui font obstacle à une maximisation des recettes de l’Etat et de l’autre
construire les infrastructures nécessaires dont le manque constitue la plus
grande source de dépenses dans le budget des élections.
III. Des solutions
1. Regroupement idéologique :
FAUX, l’introduction
du seuil ne permettra pas un regroupement idéologique des partis. On l’a vu et
on le voit, le facteur idéologique est quasi inexistant dans la création d’un
parti jusqu'à la formation des alliances qu’il noue avec d’autres.
Les alliances
politiques se font sur base de facteurs politiques, sociologiques et financiers.
Ce qui donne souvent naissance à des coalitions contre-nature où fédéraliste et
unioniste sont dans un même camp, socio-démocrates qui s’opposent etc.
Le seuil n’obligera
en rien des alliances idéologiques. Les mêmes facteurs déterminant les
alliances politiques actuelles seront les mêmes qui primeront.
Le clivage est-ouest
observé en 2006 et 2011 ira en se renforçant et sera certainement le critère
déterminant car ce sont les ressorts identitaires tribaux et claniques qui
jouent le plus dans ces élections législatives où c’est le candidat qui est élu
et non forcement le parti qu’il représente. Plusieurs n’hésitent pas à mettre
leur appartenance politique au second plan.
2. Stabilité politique
L’introduction du
seuil ne sert qu’en réalité au niveau de l’Assemblée Nationale où il est supposé,
en principe, permettre une bien meilleure stabilité gouvernementale et
politique.
Historiquement l’Assemblée
Nationale congolaise, depuis 2006, n’a pas connu de réelle instabilité au
niveau de la majorité. Les alliances contre-nature et les politiques gouvernementales
contraires aux idéologies supposées être celles des partis de la majorité,
n’ont jamais conduit à un basculement de la majorité qui aurait conduit à une
cohabitation et dans le pire des cas à une dissolution.
Ce qui prouve que ce
ne sont pas les idéologies politiques qui assurent les alliances politiques
mais plutôt des communautés et des convergences d’intérêts d’ordre financiers
et politiques.
Ce sont donc les mêmes
intérêts et leviers qui assurent la « stabilité » des alliances maintenant,
qui prévaudront et qui pourraient aussi menacer ces coalitions politiques constituées.
IV. Considérations
Voici quelques considérations
qui doivent être prises en compte dans la réflexion à mener sur cette
question :
- Lorsqu’une coalition ne remporte pas la majorité à l’Assemblée, elle devra, comme c’est le cas actuellement, recourir à des alliances politiques. Ce qui nous ramène exactement à la situation actuelle. A la différence majeure que ces alliances ne pourront se faire qu’avec les deux ou trois autres formations qui auront eu des élus à l’Assemblée.
- Le seuil d'éligibilité servira de couverture pour plusieurs candidats qui pourraient être mal élus, mais tout de même siéger grâce à leur appartenance à un parti ou une coalition ayant atteint ce seuil. Dans ce cas les candidats ayant réellement recueillis la légitimité populaire se verront privés de siège à l'assemblée. Mais bien pire, ce sont de larges portions de la population qui ne seront pas représentées. Au final, le risque d'avoir une assemblée nationale à faible légitimité est réel.
- Qu’adviendrait-il si au cours de la législature, une coalition venait à se disloquer ? Y aura t-il invalidation de tous les députés issus de cette coalition ? Car leur présence au sein de l’hémicycle tient d’abord de leur appartenance à une coalition ayant atteint le seuil et ensuite des voix qu’ils auront recueillies individuellement.
Cette question mérite
d’être posée d’autant plus que certains candidats indépendants ou d’autres
partis, ayant été mieux élus, ne siègeront pas car n’ayant pas atteint ce
seuil.
Dans ce cas toute dislocation de la coalition ne saurait conduire à une
requalification politique de la majorité au sein de l’Assemblée Nationale, mais
plutôt à une requalification électorale. Et ceci aurait du sens si nous étions
dans une démocratie parlementaire où toute dislocation d’une coalition
majoritaire conduit souvent à des législatives anticipées. Mais nous ne sommes
pas une démocratie parlementaire.
Et au regard de notre situation économique, la tendance sera à une
requalification intra-parlementaire. Et si tel est le cas, elle sera illégitime
car non seulement elle se ferait avec des députés potentiellement mal élus mais
en plus il s’agira d’une escroquerie politique car elle ne reflètera pas la
coalition pour laquelle les électeurs auront voté.
Si c’est ce choix qui est fait, il est alors incompréhensible de vouloir
imposer un seuil d’éligibilité puisqu’en aval il ne résout ni ne garantit rien
en terme de stabilité et encore moins de légitimité populaire.
Par ailleurs, certains députés peuvent décider de quitter la coalition
après les élections et garder leur mandat de député. Le départ d’une coalition,
alliances de plusieurs partis, ne saurait entrainer la perte du mandat de
député comme c’est le cas maintenant en cas de départ d’un parti politique.
Prenant ceci en compte, la seule façon de constituer une coalition forte
serait de la transformer en un parti politique afin de garantir la
« fidélité » des députés élus.
Et dans ce contexte, seul le PPRD, parti au pouvoir et au contrôle des
principaux leviers de l’Etat mais aussi de l’appareil électoral, sera avantagé
par cette disposition.
Il sera en mesure de pouvoir s’imposer non seulement vis-à-vis de ces
adversaires politiques mais aussi face à ses alliés. Plusieurs d’entre eux
n’auront pas les leviers nécessaires de pouvoir imposer leurs positions dans
les négociations internes qui précéderont la formation des coalitions. Et donc objectivement cette modification ne
saurait être à leur avantage et ils ne sauraient l’appuyer si tant est qu’ils
tiennent à avoir une existence et autonomie politique quelconque.
V. Conclusion
Au regard de ces
éléments, et en prenant en compte les facteurs sociopolitiques de notre pays, l’imposition
du seuil d’éligibilité ne servira en réalité qu’à très peu de chose si ce n’est
à rien.
Les problèmes qu’ils,
le pouvoir et la CENI, prétendent résoudre ne le seront pas réellement car les
solutions apportées n’en seront pas.
Par ailleurs ces problèmes
sont le fait du non-respect des textes de loi des acteurs politiques et de
leurs manigances.
Il sera tout au
contraire porteur de germe de conflictualité et de paralysie gouvernementale.
Ceci étant dit, il
faudrait s’interroger sur les réelles motivations du pouvoir à imposer cette
reforme. Reforme qui, comme les précédentes, arrive toujours à la veille des
élections. Les révisions précédentes qui ont toujours servi les intérêts du
pouvoir en place. Et il ne serait donc
pas surprenant que celle-ci obéisse à la même logique et serve le même
objectif.
Par ailleurs, la
majorité au pouvoir ne fait plus ombre sur sa volonté de se maintenir au
pouvoir et d’y garder Joseph Kabila comme la pièce centrale de ce pouvoir.
Dès lors une analyse
des conséquences de cette reforme s’impose.
Premièrement, nous
pouvons observer que cette reforme ne permettra pas le renouvellement de la
classe politique, désirée et voulue par le peuple congolais.
Elle n’y contribue
pas.
Bien au contraire,
elle cimente, renforce et enracine les partis et acteurs politiques actuels
qui, contrôlant les leviers politiques, sécuritaires, administratifs et
financiers de l’Etat, sont responsables de la situation de crise politique et
économique que nous traversons actuellement.
Deuxièmement, comme
vu plus haut, seule une structure politique comme le PPRD en ressortira
largement vainqueur. Son Secrétaire General, Mova Sakanyi, l’a reconnu.
En effet elle lui permet d’élargir sa puissance et son influence en
absorbant plusieurs formations politiques. Pas seulement celles qu’il avait
créées mais aussi toutes les petites qui lui sont alliées.
Troisièmement,
conséquence de la précédente, le PPRD pourra se retrouver confortablement
installé au contrôle de l’Assemblée Nationale.
Le contrôle de l’Assemblée Nationale qui semble être l’enjeu principal
de cette reforme. Enjeu surprenant dès lors que la configuration politique
actuelle fait de la présidence de la République le véritable centre du pouvoir.
Y aurait-il une volonté de faire de l’Assemblée Nationale le véritable centre
du pouvoir ? Si oui dans quelle optique ? Tous ces changements
présagent-ils d’une nouvelle stratégie de la majorité au pouvoir ?
Face à ces éléments,
nous ne pouvons que nous interroger sur le véritable agenda ayant motivé cette
décision.
Des questions qui
méritent d’être posées et d’obtenir des réponses concrètes au risque de tomber
dans un piège aux conséquences dangereuses pour la nation.
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