Attentats de Paris: #Pray_only_ForParis? Frustrations en Afrique

Comme il fallait s'y attendre, le tragique événement des attentats terroristes à Paris a engendré une mobilisation mondiale des politiques, des sportifs, des artistes de France et du monde autour de ce drame; appelant à une mobilisation mondiale contre la barbarie du fondamentalisme islamiste. Évidemment grâce aux réseaux sociaux, la vague de ‪#‎PrayforParis‬, comme celle de ‪#‎JesuisCharlie‬ à son époque, s'est répandue sur la toile, des anonymes jusqu'aux célébrités françaises et étrangères. En un clin d'oeil, nous avons assisté à un ras-de-marée d' hommages rendus aux victimes de ces attentats. 
Et malheureusement comme il fallait s'y attendre, cette mobilisation a conduit à une "contre mobilisation" à travers le monde, de la part de ceux qui estiment que leurs tragédies ne font pas assez parler ni réagir le monde, et que tant de "bruits" pour une centaine de victimes frôle l'overdose médiatique.  Ces mécontents se recrutent principalement parmi les africains qui régulièrement sont victimes des tragédies bien plus grave - en nombre et en atrocité. Mais aussi parmi les libanais victimes d'un attentat  la veille à Beyrouth, 
Et comme en janvier face à #JesuisCharlie, c'est désormais la guerre du nombre, la comparaison des tragédies. On oppose une tragédie à une autre et on dénonce l'ignorance des médias étrangers envers nos morts. Alors on se refuse toute action d'empathie, au point d'en devenir agressif, verbalement tout du moins, face à ceux qui solidarisent au peuple français. 
Mais je pense que ces constantes réactions de nous africains face à la mobilisation des autres, ne sont qu' en réalité l'expression de nos propres contradictions. Contradictions entre nos réactions et les tragédies que sont les nôtres. 
Le problème est que nous africains ne parlons pas assez et ne mobilisons pas assez de monde lorsqu'il s'agit de parler nos tragédies. Des réseaux sociaux, nous n'en faisons qu'un usage ludique là où d'autres en font un usage utilitaire d'action civile et sociale et de mobilisation populaire. 
Et notre problème se situe au niveau du fond, l'attitude face aux tragédies, et de la forme, le message à transmettre les concernant. 
- Sur le fond nous pouvons constater une attitude légère et superficielle, aux antipodes du vécu, face à nos malheurs. Nous constatons une absence de mobilisation propre et interne à nous africains. 
A l'ère du smart phone de l'omniprésence d'internet et de l'invasion des réseaux sociaux dans le quotidien des millions d'humains, du règne des "buzz", plusieurs africains sont encore à se plaindre de l'ignorance- avérée et/ou supposée, du reste du monde face aux malheurs qui les frappent. 


Et pourtant plusieurs artistes et citoyens parviennent à faire le "buzz" autour des sujets plus légers comme la musique, la comédie et même plus insolites comme les égarements linguistiques d'un artiste sur le plateau d'une chaîne mondiale. C'est ainsi que nous avons pu voir le challenge ‪#‎Selfie_Ekotite‬, en référence au dernier tube de l'artiste congolais Koffi Olomide faire le tour de la toile et devenir un phénomène qui a dépassé les frontières du continent et faire parler de lui sur les plateaux de Radio Canada, Rfi, BBC, TV5 Monde. Il en a été de même, à moindre mesure certes, pour des  ‪#‎Collerlapetite‬ et  ‪#‎YaMado‬ d'autres artistes du continent. Autour de ces sujets, la mobilisation des citoyens africains est généralement instantanée, rapide et prompt. 
Mais malheureusement lorsqu'il s'agit des sujets plus sérieux, comme des massacres ou autre tragédie humaine, la mobilisation des africains est timide et fait long feu. Il en est de même des médias nationaux qui font preuve d'une grande timidité dans la couverture sur le long terme de ces tragédies. 
C'est ainsi qu'on serait en droit de s'interroger, pourquoi les malheurs des nôtres ne nous mobilisent pas?! Pourquoi ne faisons-nous pas le buzz autour de ces problèmes?! 
Plusieurs raisons peuvent être trouvées pour expliquer ce manque d'engouement de la part des africains, personnellement je n'en trouve qu'une seule: la banalisation, la normalisation et la résignation face à ces tragédies. leur fréquence et leur récurrence ont fini par les rendre familiers aux habitants du continent qui ont fini par s'habituer,  banaliser,  apprendre à vivre avec. Et c'est certainement cette banalisation et cette résignation qui rendent toute mobilisation longue, massive et permanente quasi impossible. Des politiques aux simples citoyens en passant par les leaders sociaux, il semble planer une résignation. L'évidence de mener un combat que nous savons perdu d'avance parce que deux-trois jours après une autre tragédie remplacera la présente, démotive, décourage et paralyse. 


C'est pourquoi nous sommes incapables de nous engager dans une mobilisation permanente sur les réseaux sociaux pour parler de BENI, KOLOFATA ( plusieurs entendrons ce mot pour la première fois..), MAIDUGURI etc.

On ne saurait indéfiniment accuser les médias occidentaux d'indifférence, lorsqu'en tant que citoyen nous ne fournissons pas les efforts nécessaires pour capter l'attention de ces médias. Parvenir à transporter un sujet des réseaux sociaux vers les médias traditionnels, c'est dans l'ordre du possible. Si nous avions pu le faire sur TV5 et Radio Canada, BBC avec le phénomène ‪#‎Selfie‬ de Koffi Olomide, nous pouvons donc le faire pour d'autres sujets plus importants si nous nous y prenons comme il le faut.


- Sur la forme, il est question du message que nous voudrions transmettre. Toute communication transmet un message, une histoire. Derrière #JesuisCharlie #PrayforParis, il y avait un message, il y a une histoire qui est communiquée. Et cette question s'impose aussi à nous africains. Concernant nos tragédies ignorées  quel est le message que nous voulons faire passer au monde pour que celui-ci soit mobilisé avec et pour nous? 

Prenons un cas qui revient souvent dans les dénonciations des africains et des congolais en particulier, celui de L'Est de la RDC. Une région victime de plusieurs années de conflit et d'une guerre d'agression des pays voisins. Elle a connu les pires affres de la guerre et a vu plusieurs millions de congolais perdre la vie comme victimes directes ou indirecte de ce conflit. Depuis 2003 et de façon globale, la guerre est finie. Outre la brève aventure du M23 entre 2012 et 2013, l'est de la RDCongo connaît une paix relative. Mais la faiblesse de l'Etat et sa quasi inexistante dans cette région  favorisent la résurgence de plusieurs groupes armés locaux et étrangers qui sèment la désolation dans plusieurs villes et localités de la région  comme c'est le cas, depuis le début de l'année   de la ville de Beni dans le Nord-Kivu. 
Concernant les causes de l'instabilité et l'insécurité dans l'Est du Congo, les avis divergent selon que l'on est de la majorité au pouvoir, de l'opposition non-armée interne, de l'opposition non-armée dite "Combattant", de l'opposition armée en exil ( M23), de la société civile locale et nationale et du citoyen congolais lambda. 
Certains diront " Tout ça c'est la faute de Kabila rwandais qui veut vendre notre pays, il doit partir" , d'autres diront "Ces ADF ougandais sont envoyés par Kampala pour nous déstabiliser" , d'autres diront "Ce sont des fils du pays en complicité avec des étrangers qui veulent saper le travail de reconstruction de Joseph Kabila", pour d'autres encore "Ce sont des éléments armés indisciplinés des forces armées qui sèmeraient le trouble..." , d'autres "Ce sont les El-Shebab qui veulent étendre leur emprise" etc...  
Bref, pour la même situation, plusieurs versions s'entrechoquent et ce sont messages confus et contradictoires qui sont émis . Comme on peut le voir, pour nos propres problèmes  nous ne parlons pas un même langage. Donc dans ce contexte, toute mobilisation numérique de masse est rendue impossible, les contradictions primant. Ainsi, il est donc impossible d'attirer l'attention de l'opinion internationale sur cette tragédie. 

En ce qui concerne la France, le message est clair et simple, et est relayé par tous les acteurs principaux des différentes couches sociales françaises : "La France, patrie des droits et libertés,  a été attaquée par DAESH /ISIS qui est un groupe terroriste".  Le message est clair et net. Ainsi il est donc plus facile de relayer un #JesuisCharlie et #PrayforParis et créer le buzz entraînant ainsi une grande mobilisation. Évidemment il serait naïf de réduire ou d'obscurcir le rôle des médias français qui sont captés à travers le monde. 


En conclusion, pour nous africains et congolais en particulier, si nous voulons plus de mobilisation autour des sujets importants qui nous touchent, nous devons apprendre à devenir des maillons importants dans la chaîne de communication. 
Pour cela nous devons un, trouver un seul et unique message cohérent et autour duquel tout le monde va se placer ( politique, artistes, leaders d'opinions, anonyme) et deux sortir de la banalisation de nos malheurs. Faisons preuve de plus d'ingéniosité à créer le buzz sur nos malheurs, à avoir plus d'engouement à partager des informations importantes.  
En plein 21eme siècle, possédant un smart phone et ayant accès à internet on ne saurait se plaindre d'être ignoré du reste du monde et demander aux autres de parler de et pour nous. 


En attendant, laissons en paix ceux qui #PrayforParis, sincèrement ou pas... 

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