Malentendu sémantique

                                                              Tout ne fut donc qu'un malentendu sémantique ?! En cette soirée du dimanche 18 janvier, lorsque Kinshasa bruisse d’énièmes rumeurs de ville morte, marche de protestation et soulèvement populaire pour le lendemain, personne n’y prête particulièrement attention. Et pourtant, tracts, SMS WhatsApp, le nouvel ami des oppositions et société civile sur le continent, lançant un appel à la ville morte et à une marche sur le palais du peuple, circulent dans la ville depuis des heures. Objectif : contrecarrer la modification du projet de loi électorale en discussion au Sénat le lendemain. La veille dans la nuit, en l'absence des députés de l'opposition, la majorité avait fait passer en force le projet de loi électorale controversé. Il faut admettre que Kinshasa bruisse de ce genre de rumeurs depuis quelques années et que la réalité s'est souvent avérée être toute autre, l'opposition n'arrivant jamais à mobiliser la quantité nécessaire pour atteindre ses objectifs. 


Lundi 19 Janvier

la journée commence lentement. Des milliers de kinois prennent d'assaut les transports en commun, prêts à aller à réciter cette célèbre strophe du « Notre Père » ... " Donne nous notre pain de ce jour....". Pour ceux qui viennent des quartiers ouest, tout semble normal et réunit pour voir le bon Dieu exaucer la prière quotidienne. Bien que l'afflux semble moindre comparé à l'habitude, plusieurs croient que l'opposition a fait un énième flop. Mais dans les quartiers Est et aux alentours du palais du peuple, le déploiement, musclé des forces de l'ordre crée le doute et il est évident que dans cette partie de la ville, le pain quotidien ne sera pas au rendez-vous ce soir. Effectivement contrairement aux précédents appels de l'opposition, celui-ci semble avoir atteint un large public. Si le nombre des protestataires n'est pas forcément grand, par contre celui des "neutres" lui, est bien plus nombreux. Beaucoup ont choisi la prudence. Certains, signe de leur approbation, sont restés chez eux. 
En effet, la communication de l'opposition par SMS et WhatsApp a bel et bien fait mouche. Le message est clair, concis et le contexte politique y est favorable. Le contexte politique de l'époque était marqué par la formation du gouvernement de cohésion - avec quelques cadre importants de l'opposition-, le retour quelques semaines plus tôt du populaire gouverneur du Katanga. Retour qu'il ponctua d'un discours métaphorique dans lequel il exprimait son opposition à un 3eme mandat. C'est donc dans ce contexte presque tendu qu'intervenait la discussion de la loi électorale au parlement. Et rien de bien surprenant que la démarche de l'opposition y trouve un écho favorable au sein de la population. 

Des manifestants dans les rues 
Le message de l'opposition est claire :" La majorité essaie de maintenir Joseph Kabila en modifiant la loi électorale en y subordonnant la tenue des élections à la fin des opérations de recensement de la population." C'est l'interprétation qui est donnée de l'alinéa 3 de l'article 8 du projet de loi en discussion au parlement. Il faudrait y ajouter que les plusieurs sorties médiatiques, incohérentes et parfois contradictoires, de la majorité ont mis le feu au poudre.  Incohérences et contradictions qui donnèrent du crédit à l’opposition. 
Alors en cette matinée du 19 janvier, la tension monte dans les quartiers est de la ville. Dans plusieurs quartiers des barricades se dressent, des jeunes survoltés prennent la rue. Autour des Qg de l'opposition, la police se déploie. Le gouvernement ne voulant pas "exagérer" la menace, maintient le calendrier des activités notamment la visite du président angolais Eduardo Dos Santos qui arrive sous très haute protection. La tension qui monte, les tirs, à balles réelles, des forces de sécurité sur les manifestants finissent par convaincre de la gravité de la situation. 
Prise d'écran/ Radio Okapi. 

Sur le campus de l’université de Kinshasa, un lourd détachement des forces de l'ordre encercle l'établissement empêchant ainsi toute sortie et entrée dans l'établissement. 
A Goma et à Lubumbashi la tension monte aussi. Si dans certaines parties de la ville de Kinshasa la vie continue à son rythme, nul n’en doute, l’heure est grave. 
Entretemps, au Sénat, la discussion autour du projet de loi est reportée. Prenant de plus en plus la mesure des événements, le gouvernement décide de couper la communication. Internet est coupé, les SMS ne passent plus. La mesure ravive davantage les tensions et mobilise. La nuit est calme mais tendue. 




Pendant ce temps au  sénat  ...

Leon Kengo, président du Sénat 

Au 20, la tension ne retombe pas. La révolte semble se propager à petit feu dans l'arrière-pays. A Mbandaka, Bukavu, Goma la tension est palpable. À Kinshasa, les manifestations continuent, la répression aussi. Au Sénat, la discussion sur le projet de loi a enfin commencé. Le ministre de l'intérieur et le directeur de l'ONIP se succèdent tour à tour pour présenter le projet de lois et répondre aux questions des sénateurs. Des contractions sont relevées, des explications sont données, mais les sénateurs ne sont pas pour autant convaincus. Le projet de loi est tout de même jugé recevable. Dans la rue, on ne baisse pas les bras. 

Le 21, débat général au Sénat. Plusieurs sénateurs se succèdent pour dénoncer l’alinéa incriminé mais aussi d'autres dispositions de ce projet de loi. La rue suit de très près. Aucun débat législatif ne fut autant suivi par la population que celui-ci. Des appels à la sagesse et au consensus des sénateurs se multiplient. La communauté internationale et la société civile comptent sur les sénateurs pour barrer la route au chaos. 

Le 23 janvier, jour de l'adoption du projet de loi. Le monde entier regarde et est suspendu aux lèvres du président du Sénat. Passera ou ne passera pas?! À la lecture de l’article 8, le président du Sénat prend lui-même la parole et en explique le contenu. L’article 8 a été modifié et l’alinéa 3 supprimé. C'est l'éclat de joie dans tout le pays. C'est l'euphorie, mais la bataille est loin d'être gagnée. Il reste encore le texte final à adopter.  C'est là que les congolais s'instruiront sur les procédures parlementaires. Ils font connaissance de la "commission paritaire mixte" qui sera chargée d'harmoniser les deux textes des deux chambres et d'en produire un seul. La population reste vigilante, des appels à une grande manifestation se multiplient. 

Un malentendu sémantique 

Aubin Minaku annonçant le retrait de l'alinéa 3

Goma est sur le pied de guerre. Si les députés choisissent un passage en force, c'est le chaos. Les nouvelles qui proviennent de la commission paritaire ne sont pas rassurantes. L'inquiétude monte. Samedi 24 janvier, le président de l’assemblée nationale, Aubin Minaku, convoque la presse nationale et internationale dans ses bureaux, et là coup de tonnerre, l’assemblée nationale décide de retirer l'alinéa controversé afin de mettre fin à ce qui était, selon lui, un "malentendu sémantique". 
25 janvier 2015, la loi électorale est adoptée.






Ce malentendu sémantique aura coûté la vie à plusieurs congolais, 22 selon le gouvernement, 44 et peut-etre plus selon l'opposition. 
Ce malentendu sémantique n’était que certainement le premier chapitre des confrontations qui précèderont les élections en 2016. Pendant quelques jours, il a soufflé un air de Ouagadougou sur Kinshasa, la majorité a fait marche arrière, l'opposition a crié victoire.

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