"Ma compagne chérie..." : Le testament d'un héros.


De sa prison, Patrice Emery Lumumba écrit une dernière lettre à son épouse Pauline. Une lettre, leitmotiv du combat d'un homme qui a cru contre vents et marrées en l'indépendance d'un Congo Un et Uni et en son avenir radieux.  


Lorsque couchant ces quelques lignes, Patrice Lumumba ne se fait certainement aucune illusion quant à son sort. Il sait que la mort l'attend au bout du chemin. Mais même dans cette situation, il ne cède pas à l'abandon. Il continue de croire dur comme fer que l'avenir de ce pays est radieux et qu'il revient à chaque congolais de jouer sa partition.

Idéaliste, trop peut-être, le combat dans lequel Patrice Emery Lumumba s'était engagé se déroulait dans une arène dont il ne maitrisait ni les contours et le fonctionnement. Les réalités de  politique internationale , dont il ne maitrisait non plus les arcanes, ont eu raison de lui.  Il avouera, à demi-mot, sa naïveté vis-à-vis de l'ONU. Une organisation qui trahit l'espoir qu'il fondait sur elle. 

Lumumba, comme plusieurs héros et précurseurs, n'était qu'un homme bien en avance sur son époque et ses contemporains. Il avait compris que le prix de la liberté et de la dignité passait par un long chemin de tribulations et d'adversités. Mais que seul l'espoir en un Congo libre, grand et fort pourrait nous y conduire jusqu'au bout.  

Avec le temps, plusieurs critiquent l'obstination et la naïveté de Lumumba. Certains vont plus loin en lui imputant la responsabilité de nos malheurs présents. On pourrait penser qu'il aurait pu et dû faire les choses autrement.

55 ans après, on est en droit de se demander ce que Patrice Lumumba dirait de ce Congo, que dirait-il de son rêve pour cette nation?
55 ans après, qu'avons-nous fait de notre indépendance? Très certainement lassés et résignés par le désespoir, nous avons choisi le chemin de la vassalité identitaire. Nous nageons entre deux fleuves, incapables de revendiquer et d'affirmer notre identité comme peuple souverain et nation libre.
55 ans après oserait-on imputer nos malheurs sur un homme dont le plus grand tort aura été de croire en la destinée de dignité de ce pays et de son peuple.
55 ans après, comment pourrait-on oublier ces quelques lignes qui font office de testament d'un héros que l'on tend à oublier.

Mon espoir est que cette lettre, que l'on maintient souvent dans l'anonymat ou que l'on évoque uniquement dans le privé et l'affectif, prenne finalement sa place dans l'histoire de notre Nation, celle du testament d'un héros, un martyr de la liberté congolaise.

" Ma compagne chérie,
Je t’écris ces mots sans savoir s’ils te parviendront, quand ils te parviendront et si je serai en vie lorsque tu les liras. Tout au long de ma lutte pour l’indépendance de mon pays, je n’ai jamais douté un seul instant du triomphe final de la cause sacrée à laquelle mes compagnons et moi avons consacré toute notre vie. Mais ce que nous voulions pour notre pays, son droit à une vie honorable, à une dignité sans tache, à une indépendance sans restrictions, le colonialisme belge et ses alliés occidentaux – qui ont trouvé des soutiens directs et indirects, délibérés et non délibérés, parmi certains hauts fonctionnaires des Nations-Unies, cet organisme en qui nous avons placé toute notre confiance lorsque nous avons fait appel à son assistance – ne l’ont jamais voulu.
Ils ont corrompu certains de nos compatriotes, ils ont contribué à déformer la vérité et à souiller notre indépendance. Que pourrai je dire d’autre ? Que mort, vivant, libre ou en prison sur ordre des colonialistes, ce n’est pas ma personne qui compte. C’est le Congo, c’est notre pauvre peuple dont on a transformé l’indépendance en une cage d’où l’on nous regarde du dehors, tantôt avec cette compassion bénévole, tantôt avec joie et plaisir. Mais ma foi restera inébranlable. Je sais et je sens au fond de moi même que tôt ou tard mon peuple se débarrassera de tous ses ennemis intérieurs et extérieurs, qu’il se lèvera comme un seul homme pour dire non au capitalisme dégradant et honteux, et pour reprendre sa dignité sous un soleil pur.
Nous ne sommes pas seuls. L’Afrique, l’Asie et les peuples libres et libérés de tous les coins du monde se trouveront toujours aux côtés de millions de congolais qui n’abandonneront la lutte que le jour où il n’y aura plus de colonisateurs et leurs mercenaires dans notre pays. A mes enfants que je laisse, et que peut-être je ne reverrai plus, je veux qu’on dise que l’avenir du Congo est beau et qu’il attend d’eux, comme il attend de chaque Congolais, d’accomplir la tâche sacrée de la reconstruction de notre indépendance et de notre souveraineté, car sans dignité il n’y a pas de liberté, sans justice il n’y a pas de dignité, et sans indépendance il n’y a pas d’hommes libres. 
Ni brutalités, ni sévices, ni tortures ne m’ont jamais amené à demander la grâce, car je préfère mourir la tête haute, la foi inébranlable et la confiance profonde dans la destinée de mon pays, plutôt que vivre dans la soumission et le mépris des principes sacrés. L’histoire dira un jour son mot, mais ce ne sera pas l’histoire qu’on enseignera à Bruxelles, Washington, Paris ou aux Nations Unies, mais celle qu’on enseignera dans les pays affranchis du colonialisme et de ses fantoches. L’Afrique écrira sa propre histoire et elle sera au nord et au sud du Sahara une histoire de gloire et de dignité. Ne me pleure pas, ma compagne. Moi je sais que mon pays, qui souffre tant, saura défendre son indépendance et sa liberté.
Vive le Congo ! Vive l’Afrique !
Patrice Lumumba"

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