En finir avec la 3eme République


Le contexte politique actuel a prouvé être hostile à toute idée de discussion autour de la constitution. La crainte de l’opposition politique ainsi que de la société civile est d’ouvrir la boîte de Pandore qui pourrait très vite entraîner les événements dans une direction non désirée. La crainte de l’opposition est telle qu’elle s’oppose à une quelconque éventualité de révision, même celle qui consisterait à revenir sur la révision de 2010 afin de ramener la présidentielle à deux tours. Un retour à une présidentielle à deux tours qui, dans un Congo multiethnique aux forts clivages régionaux,  renforcerait certainement la légitimité du président élu. Outre la question du second tour, d’autres sujets tels que la question de la « nationalité » qui, dans un pays comme le nôtre, doit être abordée sans passion en posant et répondant aux questions relatives à  l’identité nationale, la citoyenneté ; le découpage territorial, la forme de l’Etat etc… Autant de sujets qui méritent d’être abordées sous l’aune des défis du développement et non ceux des agendas politiques de quelconque protagonistes belliqueux.

 Jusque-là, les solutions proposées par les protagonistes de la crise actuelle,  mettent en lumière les limites d’une constitution fortement malmenée. Certains diront qu’il serait de mauvais aloi d’évoquer les limites d’une constitution d’à peine onze ans dont l’application effective a souvent été rendue difficile plus par l’absence de volonté politique que par une réelle impossibilité socio structurelle à l’appliquer. Et donc avant de parler de limites, il faudrait que cette constitution eût été soumise dans son application effective à de réels obstacles systémiques pour prouver son inadéquation et/ou incohérence vis-à-vis du système dans lequel il évolue.
D’autres par contre estiment que la situation actuelle présente une réelle opportunité pour aborder la question. Il est vrai que cette approche est défendue par la majorité dont la volonté de maintenir le président actuel pour une durée indéterminée ne fait plus l’ombre d’un doute.
Néanmoins, ceci ne vide en rien la pertinence de cette position et la nécessité d’un bilan. L’opportunité et la qualité des acteurs ne se prêtent certainement pas à ce genre d’exercice sans qu’il ne soit vicié par des calculs politiciens en tous genres, mais la crise par laquelle nous passons nous impose d’en prendre la mesure et de ne pas faire l’économie de réflexions afin d’y apporter des solutions courageuses et idoines. Et la réflexion autour d’une réforme constitutionnelle doit être faite, une remise en question de l’ordre constitutionnel actuel.
Jusqu'à présent, les solutions proposées par les différents acteurs ne règlent que la question immédiate de l’organisation des élections qui n’est en réalité qu’un épiphénomène de la crise systémique qui frappe la République Démocratique du Congo depuis son indépendance.  Ces solutions, à travers les deux dialogues, ne posent ni ne règlent pas la question de l’adéquation et de la viabilité de l’écosystème sociologique, politique et économique congolaise à appliquer de façon viable la constitution de 2006. Mais au-delà cela, elles ne font pas le diagnostic des crises qui ont culminé au conflit de 1998-2003 qui finit par donner naissance au compromis « politico-militaire » de 2006 qu’est l’actuelle constitution.
Quand bien même nous parviendrons à organiser les élections dans les mois à venir, nous ne serons toujours pas à l’abri d’une réelle crise. Une crise qui, comme la présente, sera certainement inhérente à la nature et aux ambitions des acteurs, ainsi qu’ à l’incapacité de l’État à imposer sa force et sa loi sur tous. Mais de façon plus fondamentale, elle sera causée par les conflits qui émergeront entre certains groupes sociaux et politique et la nature de l’Etat.
Dès sa création, La fragilité de l’État congolais (dans son principe fondateur, sa forme et ses structures) a été manifestée par son inexistence comme expression du « vivre-ensemble collectif ». Cette fragilité a été renforcée par une personnalisation à outrance autour de la personne du Chef de l’Etat dans la deuxième République. Personnalisation de l’Etat qu’on a voulu être la compréhension culturelle du pouvoir politique au Congo et qui créa des habitudes, dans le vécu du pouvoir, qui perdurent encore aujourd’hui, une guerre, une transition et deux présidents plus tard.    L’ inexistence de l’Etat, en dehors de la personne du Chef de l’État, rend l’existence et l’application de toute constitution impersonnelle illusoire sinon impossible. Ainsi la constitution incarnant le pouvoir politique devient un élément d’oppression d’un groupe sur un autre. C’est ainsi que plus tard, vidée de toute légitimité sociale vis-à-vis des oppressés, elle finit par être la cause première d’une remise en question violente du pouvoir établi, d’où les crises à répétition.

Et c’est dans cette logique de violence et de perpétuel recommencement que s’est inscrit la RDC depuis son indépendance avec la « violence armée » comme voie et méthode de transition entre deux régimes, deux républiques. La première, née de l’indépendance et émaillée de violences, verra sa fin avec le coup d’État de 1965 qui lui,  donnera naissance à la deuxième république. Née dans un contexte international conflictuel, elle s’inscrivit dans une logique d’alignement idéologique vis-à-vis des intérêts occidentaux qui en contrepartie fermèrent les yeux à ce qui, en interne, devint une dictature brutale. A la fin du conflit international, affranchi du poids de l’alignement, le pouvoir ne saisit pas l’opportunité qu’était la conférence nationale souveraine de poser les bases fondamentales d’un État réel. Détachée de sa population appauvrie, elle disparaîtra sous les balles d’une rébellion armée soutenue par l’étranger en 1997. Le début de la troisième république est sujet à discussion.
D’une part, pour ceux qui ont renversé le maréchal Mobutu en Mai 1997, sa chute inaugure le début de la troisième République, même si cette période fut caractérisée par un vide constitutionnel patent qui vit la république être régie par le décret-loi du 27 Mai 1997. Décret-loi qui, muet quant à la vacance du pouvoir en cas d’empêchement du chef de l’État, fut incapable de régler la question de la succession de Laurent Désiré Kabila après son assassinat en janvier 2001.
D’autre part, pour les principaux protagonistes de la guerre de 1998-2002, la troisième république vit naissance avec la promulgation de la constitution de 2006 qui fut adoptée par référendum en 2005. Ce qui de facto, sur un point de vue historique et scientifique fait du début du règne de Laurent Désiré Kabila à la fin de la période de transition de 2003~2006, une période de transition.
La troisième république est née du consensus politique issu des accords de Pretoria qui  mirent fin aux négociations de Sun City censées mettre fin à la guerre d’août 1998. Comme on peut le voir, c’est sur la base de ce consensus politique qu’a été écrite l’actuelle constitution. Elle est donc, pour reprendre les mots d’un cadre du PPRD, un « pacte des belligérants ». C’est du reste, ce consensus politique que tiennent à défendre certains ténors de l’opposition qui craignent que sa violation puisse entraîner une crise de légitimité qui pourrait replonger le pays dans le chaos.

La question de la légitimité des institutions et de leurs animateurs fut diagnostiquée, et reprise comme motivation dans les préambules de la constitution, comme étant la cause principale des guerres incessantes et de l’instabilité chronique que connaît la République Démocratique du Congo. Ce fut-là, le principe fondateur des fondamentaux de notre constitution que sont l’organisation des élections, la durée et la limitation du nombre de mandats du président de la République.

Dans sa forme, la constitution ne semble poser aucun problème.  Mais dans son fond elle est affaiblie par le processus, vicié et corrompu, de sa rédaction. Tout comme les précédentes constitutions, le processus de sa rédaction a été biaisé par les pesanteurs que constituait le poids des principaux belligérants, congolais et étrangers, de l’époque. Il fallait donc préserver leurs intérêts présents et futurs. C’est ainsi qu’il y eut des débats houleux autour des critères d’âge et de qualification académiques des candidats à la présidentielle, de la limitation et de la durée des mandats,  de la forme de l’Etat, du découpage territorial,  de la nationalité etc. Bref autant de sujets d’importance capitale qui ont été tranchées en fonction des intérêts temporaires, personnels et malheureusement non-idéologiques, des principaux acteurs de l’époque. La guerre de 1998-2002 n’ayant pas été elle-même une guerre civile opposant deux idéologies et/ou approches internes, congolo-congolaises, fondamentalement différentes de l’État, de sa compréhension, de sa gestion et de son avenir ;  les intérêts défendus par les belligérants n’auraient donc pu être de cet ordre. Ainsi donc, nous avions élaboré une constitution qui était non l’expression d’un compromis idéologique collectif interne, mais plutôt celle d’intérêts personnels, extérieurs et temporaires des belligérants.  

De ce fait, tout comme lors de la période de transition qui l’a précédée, seule l’existence de ces belligérants armés, pourvus de leurs forces, constituait la garantie du strict respect de cette constitution. L’État, déliquescent et en« reconstruction », inexistante dans sa forme impersonnelle, n’aurait pu être, ni su s’imposer sur un ou plusieurs acteurs, comme gage du respect de la constitution.
Et c’est la situation dans laquelle nous nous retrouvons aujourd'hui. La victoire de l’actuel président aux élections de 2006 face à Jean Pierre Bemba aurait dû permettre la normalisation de la vie politique. Malheureusement l’existence de la milice armée du MLC et sa présence dans la capitale remettait en question l’autorité de « L’État ». Au-delà de l’État, Jean-Pierre Bemba et sa milice constituaient d’abord une menace pour le pouvoir de Joseph Kabila. Sa neutralisation définitive et permanente devenait l’objectif principal. Ce qui fut fait en mars 2008. La débâcle électorale du RCD en 2006 permit l’affermissement du nouveau pouvoir. Il raffermit son pouvoir et son contrôle sur l’appareil sécuritaire et financier de l’État tout en veillant de ne jamais poser les fondements d’un État impersonnel. Son pouvoir et son autorité se sont renforcés au détriment de l’État. Il est devenu « l’hégémon absolu » au point de devenir la force indispensable et nécessaire sans laquelle rien ne saurait être fait. Quant aux belligérants extérieurs, les multiples rébellions et groupes armés dans l’est du pays depuis 2006 en sont les séquelles pour lesquels des « solutions pratiques » furent trouvées et sont d’application.

En définitive, les principaux protagonistes ayant disparu, Joseph Kabila étant le seul et unique vainqueur, la conséquence fut de vider de son sens l’équilibre politique de 2006. Joseph Kabila ne se retrouve plus donc ainsi dans l’obligation de respecter et ni de se soumettre aux prescrits d’un « ordre-consensus » désormais obsolète.
C’est pourquoi réclamer la préservation de cet « ordre-consensus » est un non-sens politique. On ne saurait donc ainsi espérer l’avènement d’un pouvoir, système nouveau tout en préservant les acquis de l’ordre ancien. Certes, tous les acquis ne sont pas à bannir, mais ils doivent être revus et refondus sous un prisme sain et nouveau, libéré de toutes les pesanteurs (acteurs de l’époque et leurs intérêts) qui ont eu à biaiser le processus de conception et de naissance des précédentes républiques. Il faut donc tuer la 3èmeRépublique !!!  


Commentaires

Posts les plus consultés de ce blog

China in Africa, an alternative narrative

Seuil d’éligibilité, nouvelle stratégie du pouvoir?

Revision of mining contracts in the DRC, what the future may hold?